
Le prix exorbitant de l'insuline en Haïti plonge des patients diabétiques dans le désarroi
L’insuline est un médicament indispensable dans le quotidien des personnes atteintes de diabète. Plus de 100 ans après sa découverte, ce médicament, désormais réadapté et amélioré, reste difficilement accessible dans certains pays en raison de nombreux problèmes, notamment son prix trop élevé par rapport aux moyens financiers des consommateurs.
En Haïti, le prix exorbitant de l’insuline devient un facteur limitant l’accès de certains patients à un traitement de qualité, aggravant ainsi la situation d’un nombre considérable de malades déjà confrontés à de nombreuses dépenses.
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Un système de santé défaillant
Depuis de nombreuses années, Haïti est confronté à une panoplie de problèmes sociaux et économiques, mettant en crise de nombreux secteurs de la vie nationale. Les indicateurs de développement atteignent des valeurs critiques. On assiste à une absence, voire une inexistence, de l’État dans la majorité des secteurs clés, notamment celui de la santé. Ce dernier est, pour ainsi dire, submergé par les crises et traversé par des inégalités criantes.
Les soins de santé sont de moins en moins accessibles à la population haïtienne en raison de plusieurs facteurs, tels que le départ de nombreux professionnels, le manque d’infrastructures routières et la fermeture progressive des établissements de santé. L’un des plus grands centres hospitaliers du pays a été incendié sous les yeux d’un État impuissant. L’augmentation du prix de l’insuline n’est que la goutte d’eau qui fait déborder le vase des diabétiques, déjà trop plein.
Impacts du prix de l'insuline
L’augmentation du prix de l’insuline s’ajoute aux nombreux problèmes auxquels sont confrontées les « plus de 300 000 personnes atteintes du diabète en Haïti [en 2019] » (1). En effet, dans certaines pharmacies de la capitale haïtienne, le prix de l’insuline (notamment le Novolin 70/30) varie entre 2 000 et 2 050 gourdes, soit près de 15 $ US pour un flacon de Novolin 70/30. De plus, des personnes diabétiques ont rapporté à la rédaction que, dans des zones plus éloignées, le prix de l’insuline atteindrait 2 500 gourdes.
Un prix qui était près de 10 fois inférieur en 1998, comme en témoigne Lamartine, 54 ans, une patiente diabétique de type 1, insulino-dépendante depuis 27 ans :
« Lè m te fenk fè sik mwen, mwen te konn achte ensilin lan 250 goud. Kounya, ou te mèt gen 1 500 goud, ou pa kapab jwenn li. »
« Lorsque j’ai été diagnostiquée diabétique, j’achetais l’insuline à 250 gourdes. Aujourd’hui, même avec 1 500 gourdes, je ne peux pas l’avoir. »
En plus du prix élevé de l’insuline, il arrive qu’elle devienne rare, voire introuvable, dans certaines régions du pays. L’insécurité persistante et le contrôle des axes routiers stratégiques par les gangs empêchent l’acheminement de médicaments essentiels dans plusieurs localités. C’est notamment le cas des villes comme Carrefour, Les Cayes, Jacmel, etc.
Jane (nom d’emprunt), une femme de 51 ans diabétique depuis 17 ans, fait partie des déplacés à cause de la situation à Carrefour et dans ses environs. Depuis plus de deux mois, elle vit dans le Sud du pays, dans la ville des Cayes. Elle rapporte sa situation en ces termes :
« Mwen gen anpil pwoblèm paske m paka jwen ensilinn lan achte Okay, e kèk grenn kote m jwenn li, yo rive mande m 2 500 gds pou yon vyal Novolin 70/30. »
« J’ai beaucoup de difficultés, car je ne peux pas trouver d’insuline à acheter aux Cayes. Et dans les rares endroits où j’en trouve, on me demande jusqu’à 2 500 gourdes pour un flacon de Novolin 70/30. »
Dans un pays où plus de la moitié de la population vit avec moins de 3,69 dollars par jour (2), l’insuline prend le statut d’un produit de luxe pour de nombreux patients diabétiques, voyant leurs dépenses décuplées à cause de leur maladie. En effet, la revue InfoChir (2023), dans un article intitulé « Coût du diabète en Haïti », indique que « le coût moyen annuel pour un suivi régulier du diabète s’élève à HTG 152 892,88 » pour un patient sans comorbidité.
Pourquoi l’insuline est-elle aussi chère ?
Découverte en 1921 par Frederick Banting, l’insuline fut un soulagement pour les personnes atteintes de diabète à l’époque. C’est ce qui a poussé le scientifique à la vendre pour un dollar symbolique à des entreprises pharmaceutiques en vue de sa production. Ces entreprises ont modifié la molécule de base et revendent aujourd’hui des insulines qui agissent plus rapidement ou qui ont une durée d’action plus longue dans le sang.
Depuis de nombreuses années, le prix de l’insuline est un problème dans de nombreux pays. On assiste à des manifestations contre son inaccessibilité en Amérique et même en Europe.
Ainsi, le prix exorbitant de l’insuline n’est pas propre à la société haïtienne. Cependant, dans les pays confrontés à cette situation, des politiques ont été mises en place pour réduire son coût pour les patients diabétiques. En Haïti, bien qu’il existe des ONG qui offrent l’insuline parmi d’autres médicaments, les programmes de subvention de l’insuline ne sont pas effectifs auprès de la population haïtienne. Ils sont, pour certains, limités à certaines franges de la population ou submergés par des actes de corruption.
De plus, le contrôle des axes routiers et les taxes imposées par les gangs sur ces produits contribuent à l’augmentation du coût de certains médicaments dans les villes concernées. Comme le souligne la Banque mondiale, « en raison de l’insécurité, les dépenses d’investissement ont considérablement ralenti, ce qui a conduit à un déficit budgétaire ». Outre l’insuline, de nombreux produits de première nécessité ainsi que des médicaments essentiels ont subi des hausses de prix, notamment les antihypertenseurs, les analgésiques et bien d’autres encore. Ces facteurs sont donc importants pour comprendre l’augmentation du prix de l’insuline en Haïti.
À la recherche d’une alternative à l’insuline…
Face à cette situation, certaines personnes atteintes de diabète développent des alternatives pour réduire leur consommation d’insuline. Elles procèdent soit en réduisant leur dose recommandée à l’insu de leur médecin, soit en arrêtant complètement ce médicament au profit de traitements « plus traditionnels ».
Lamartine ne nie pas qu’elle réduit le nombre d’unités nécessaires pour maintenir sa glycémie dans la normale :
« Mwen te gen pou m pran 10 inite ensilin nan maten, epi 10 nan aswè. Kounya, m pa pran sa maten an sèlman. Avanyè, m jwenn sik mwen moute 500 mg/dl. »
« Je devais prendre 10 unités d’insuline le matin et 10 le soir. Maintenant, je ne prends que celle du matin. Avant-hier, ma glycémie est montée à 500 mg/dl. »
Cette pratique porte le nom de « rationnement ». De nombreux articles montrent qu’elle est aussi répandue dans d’autres pays où l’accès à l’insuline est limité.
À notre connaissance, il n’existe pas d’étude détaillée sur l’impact de ces alternatives sur l’état de santé des patients haïtiens. Cependant, il est clairement démontré qu’un diabète non ou mal traité peut entraîner des complications graves, comme l’acidocétose diabétique ou l’insuffisance rénale. Dans un tel contexte, les patients diabétiques sont de plus en plus exposés à des complications.
Confrontées au prix exorbitant de l’insuline, les personnes atteintes de diabète en Haïti sont laissées à elles-mêmes. Sans intervention de l’État et/ou des ONG sur cette question, elles seront chaque jour plus exposées aux complications et, dans certains cas, à la mort.
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